V
« Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons
Vous qui trouvez le soir en rentrant
Latable mise et des visages amis
Considérez si c’est un homme
Que celui qui peine dans la boue
Qui ne connaît pas de repos
Qui se bat pour un quignon de pain
Qui meurt pour un oui pour un non
Considérez si c’est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu’à la force de se souvenir
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver
N’oubliez pas que cela fut
Non ne l’oubliez pas
Gravez ces mots dans votre cœur
Pensez- y chez vous, dans la rue
En vous couchant, en vous levant
Répétez les à vos enfants
Ou que votre maison s’écroule
Que la maladie vous accable
Que vos enfants se détournent de vous »
[ Primo Lévi, né à Turin (Torino) en 1919, s’est donné la mort en 1987. ]
… Cela fut, cela est encore… Cela passe par dessus les commémorations, cela fait d’ignobles tracés rouges ou noirs sur des murs du Souvenir et de la Mémoire, cela fait des milices et des polices qui tabassent… Partout dans le monde où l’on chasse, où l’on persécute, où l’on exclue, où l’on emprisonne, où l’on élimine des hommes des femmes et des enfants qui, presque tous, peinent sur de gigantesques chantiers d’olympiades et de cités du futur, au fond des mines et dans des galeries souterraines, dans les boues des rizières… Quand ils ne sont pas jetés dans des geôles, roués de coups, pendus, décapités ou passés par les armes contre un mur ou attachés à un poteau…
Avec les tornades, les tempêtes, les ouragans, les fleuves et les rivières et les torrents de montagne qui balaient les maisons comme des feuilles tombées au sol emportées par le vent…
Avec tous ces enfants qui se détournent de leurs parents, de leurs familles, qui ont oublié d’où ils viennent et se sont inventé des Eldorados après lesquels ils courent et se battent entre eux pour y arriver…
Ça ne s’arrange pas !