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Livres lus

  • 20 ans pendant la guerre d'Algérie, de Raphaël Delpard

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    … Désormais après avoir lu ce livre de Raphaël Delpard, chaque fois que je me trouverai en face d’un monument aux morts sur lequel sont inscrits les noms de ceux de nos compatriotes qui ont été tués en Algérie entre 1954 et 1962 ; inévitablement je penserai à ce que j’ai lu dans ce livre…

    Oui, notre République Française peut bien commémorer, honorer ceux qui sont morts pour la France durant cette guerre qui, rappelons le, était qualifiée « d’opérations de maintien de l’ordre et de pacification » afin de minimiser aux yeux de l’opinion publique à l’époque (années 1950 sous la 4ème République) la gravité des évènements, la violence des combats, et le fait que c’était bien là, en Algérie, une guerre dans le plein sens du terme…

     

    La vérité dans cette affaire c’est que des jeunes Français en 1955, 1956 et jusqu’en 1961, n’ont pas été traités au quotidien de l’époque lorsqu’ils ont été appelés en masse, par la République Française, comme le laissent apparaître « sur le marbre » tous ces monuments aux morts au bas desquels les municipalités déposent le 19 mars de chaque année, une gerbe ou une couronne de fleurs, dans un « pieux recueillement »…

    En effet, et c’est bien là le « décalage » qu’il y a entre « commémorer, honorer » comme on le fait aujourd’hui depuis des dizaines d’années… et « ce qui s’est réellement passé au quotidien en 1955, 1956 et jusqu’à 1961, lorsque ces jeunes ont été appelés, encasernés, « instruits », transportés en train jusqu’à Marseille, puis en bateau pour Alger ou pour Oran »…

    Depuis Bitche en Moselle, depuis Arras, Brest, Amiens, Lille, Bayonne, Toulouse, Bordeaux, Lyon, Grenoble, Clermont Ferrand, Aurillac… Les premiers appelés de 1955/1956 pour l’Algérie étaient transportés jusqu’à la gare de Marseille par… Trains de marchandises de wagons à bestiaux (exactement les mêmes wagons que ceux utilisés pour le transport des déportés de la seconde guerre mondiale – chevaux 8, hommes 40)… Et les bateaux de transport de troupes traversée de la Méditérranée était de vieux navires datant du début du siècle qui avaient servi après 1945, au transport de moutons !

     

    C’est « ainsi » que la République Française, la 4ème de ce nom avec François Mitterrand ministre de l’Intérieur du Gouvernement Mendès France de 1954 à 1955, a « traité » sa jeunesse « mobilisée pour le maintien de l’ordre en Algérie » …

     

    « Des années d’enquête ont permis à Raphaël Delpard, écrivain et cinéaste, de montrer ce que fut la vie au quotidien de ces générations sacrifiées et de leur rendre la parole qui leur avait été confisquée dans l’indifférence générale et le mépris des gouvernements » …

     

    Notons que ce livre a été publié pour le compte des Editions Michel Lafon en décembre 2000 (dépôt légal janvier 2001) … Et qu’il n’aurait certainement pas paru, ce livre – et pour cause ! - plus récemment qu’en 2000, et à plus forte raison dans les années 1980 ou 1970 ! …

    Même encore en 2024, « certains » diront « les wagons à bestiaux, les rafiots pourris (pour le transport des troupes) c’est de la légende »…

     

    Une question pour conclure : « Le monde – Français, Européen, Planétaire – de 2024, est-il mieux que celui de 1956, question traitement des êtres humains autres que les privilégiés, les grands possédants, les élites ? » Ah, si, « reconnaisons le »: il y a de tout consommable loisiresque technologiqué internetisé à gogo ; les trains sont des OUIGO et des INOUI, les bateaux sont de croisière et les vieux rafiots à moutons ont été remplacés par des Airbus à touristes… Donc c’est quand même mieux vivable en 2024 qu’en 1956… Pour une plus grande majorité de gens du moins…

     

     

  • Les années mirages, de Robert Destanque et Michel Martens

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    Dans cette chronique romanesque des années 1946 à 1954 en France, les auteurs Robert Destanque et Michel Martens ( Éditions Robert Laffont, paru en 1992), dans ce roman, évoquent ces huit années durant lesquelles le conflit indochinois, le communisme et la guerre froide, ont fait l’actualité dans notre pays… Cela au travers des destins différents des trois enfants d’une famille du Sud Ouest, les Garnier, Georges le plus jeune, entraîné dans la guerre d’Indochine ; Bernard son frère, ingénieur des Travaux Publics dans le contexte de la Reconstruction après la fin de la 2ème guerre mondiale ; et Laure sa sœur, engagée dans le mouvement communiste sous l’influence de son amant qui deviendra son mari Andrej Jirek…

     

    Cette guerre d’Indochine de 1946 à 1954 est « une horreur absolue » en terme de barbarie, de cruauté, de tortures, de souffrances endurées par les soldats (soit dit en passant pour « sauvegarder » les intérêts et le mode de vie de toute une caste de privilégiés, d’affairistes et de « coloniaux » implantés en Indochine depuis la seconde moitié du 19ème siècle, et cela dans une politique désastreuse des dirigeants de la 4ème république), de massacres, d’assauts menés dans le fracas des armes sous un climat humide, tropical et insalubre…

    En « comparaison » - si l’on peut dire – avec la guerre d’Algérie 1954 – 1962, le conflit indochinois « vaut bien » en barbarie, en tortures et massacres, tant du côté des Français que du côté des Vietnamiens, la barbarie nazie, ou les tortures en Algérie (Français à l’égard d’algériens, combattants algériens à l’égard d’autres algériens)…

     

    Il est en particulier évoqué dans ce livre à propos d’actes de barbarie commis par des vietamiens, en comparaison avec d’ actes perpétrés à la libération en 1944 au moment de l’« épuration », ce fait, absolument atroce, d’un « collabo » d’un village Vosgien, passé vivant au sciage en long de l’entre jambe à la tête…( Dans les Vosges à l’époque et encore aujourd’hui il y a de nombreuses scieries) …

     

    De tous temps à travers l’Histoire, l’éducation, la culture, l’intelligence, la civilisation, n’ont jamais garanti ni entraîné comme l’on pourrait le croire, l’éradication, la disparition de la barbarie, ni contribué à l’édification d’une société plus juste, plus humaine…

    Mais l’on peut dire aussi que l’ignorance, que le manque de culture et d’éducation, et que même des formes d’obscurantisme, n’ont pas forcément rendu plus barbare, plus cruelle, plus violente, une société, les habitants de tel ou tel pays dans le monde…

    Car la Culture s’est faite parfois l’alliée de la barbarie ; et que l’ignorance, le manque d’éducation ont parfois produit des êtres qui « n’auraient pas fait de mal à une mouche » de tout leur vivant…

     

    Ce que l’on a vu, ce qui s’est pratiqué au fin fond du Moyen Age avec la Roue, le Gibet, l’inquisition ; ce qui s’est passé durant la guerre de Trente Ans 1618 - 1648 avec les sacs et les viols et les massacres de populations ; ce qui s’est passé dans les camps nazis de la 2ème guerre mondiale avec les fours crématoires et les chambres à gaz ; ce qui s’est passé en France lors de la rafle du Vel d’hiv et lors de l’épuration en 1944… En matière de barbarie, de crimes, d’atrocités, de tortures… Eh bien cela peut encore se revoir, se reproduire de nos jours et dans le futur… Et ce ne sont pas nos sociétés des « droits de l’homme » et des valeurs de la Démocratrie et où le citoyen lambda reçoit de l’éducation, de l’information… Qui va forcément faire « qu’on ne verra plus jamais ça » !…

     

    Cela dit, une société où dominent le manque d’éducation, l’inculture et les obscurantismes ; demeure tout de même davantage sujette à la barbarie, à la cruauté et à la violence, qu’une société où les gens en grande partie d’entre eux sont éduqués, sont cultivés, et où les obscurantismes sont moins présents…

     

    Reste toujours présente dans l’Histoire et dans les sociétés, la tentation de la révolte, voire de l’anarchie « afin d’édifier une société plus juste, plus égalitaire et meilleure »… Une tentation qui a impulsé parfois des changements radicaux en bousculant des ordres établis, mais qui n’a été qu’une suite d’expériences difficiles, souvent désastreuses et ayant amené au bout du compte, un résultat contraire à ce qui était espéré…

     

    Le sens même de la Révolte est encore à découvrir, et peut-être que dans « L’Homme révolté », Albert Camus nous éclaire-t-il, nous ouvre-t-il une voie possible…

     

     

  • Le journal de Franz Kafka

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    LE JOURNAL DE KAFKA, traduit et présenté par Marthe Robert. (Le livre de Poche, biblio, 674 pages)

     

    Ce combat entre Frantz Kafka et le monde, avait quelque chose de paradoxal…

    Poète, Frantz Kafka se sentait différent du commun des mortels et par conséquent contraint d’affirmer sa singularité. Ce qui rendait inévitable – et pour lui, problématique, difficile, sa lutte avec le monde… Et, tout aussi problématique, sa reconnaissance par ses semblables, de son vivant…

     

    Cependant, Frantz Kafka avait en même temps une autre préoccupation, un autre regard que celui d’un écrivain sans complaisance à l’égard du monde : il a voulu aider le monde à se défendre, en particulier par ce besoin qu’il sentait, de surmonter sa révolte (et plus généralement celle de l’individu), et de trouver la route ouvrant le passage vers une communauté vivante, celle des hommes coexistant ensemble dans une tradition, une culture, une histoire…

     

    Ce journal est, selon Marthe Robert, « le témoignage le plus poignant de toute l’histoire de la littérature ».

     

    « Nous avons été chassés du paradis mais le paradis n’a pas été détruit pour cela »… Lit-on, dans le texte figurant en 4ème de couverture…

     

    Ce « paradis » n’était-il pas cette Connaissance, ou mieux peut-être, cette « vérité » originelle, totalement pure, affranchie de ce « sens du monde » régi par les lois des hommes et les mécanismes inextricables des codes et des procédures ?

     

    Retrouver ce « paradis », puisqu’il existe toujours, apparaît donc comme une nécessité… D’autant plus que la certitude de sa « redécouverte » s’ouvre dans une perspective encore plus belle et plus émouvante que celle qui, à l’origine, « n’en était qu’à la gestation de son commencement » - pourrait-on dire…

     

    Mais ce n’est pas le  dieu  des Chrétiens ni celui des Musulmans ou un autre « dieu »… qui nous a chassés du « paradis » : c’est nous, les humains, qui avons en partie, perdu la Connaissance et qui avons cru retrouver cette Connaissance par la science, par la civilisation, par la technologie…

    Et qui, en édictant des lois, des codes et des procédures, tout cela sans cesse revu, corrigé, remanié, adapté aux évolutions politiques et sociales, le plus souvent il faut dire au bénéfice d’une minorité de privilégiés et de dominants… Ont « formaté » un « paradis » qui n’est finalement qu’un « purgatoire » sinon un « enfer » pour beaucoup d’humains…

    Mais la Connaissance – et donc le paradis - existait avant que l’humain ne fût, ici ou ailleurs…

     

    …Le Journal de Kafka, 674 pages. Un casse tête aux dires de certains, à la seule idée que l’on peut se faire de ce que suggère à priori, la lecture des écrits et des romans de Kafka…

    Mais quelle pureté de langage ! Quelle précision ! Quelle minutie dans les moindres détails !

     

     

  • Gustave Flaubert, vu par Guy de Maupassant dans ses chroniques, en 1876

    Voici le texte intégral de la première chronique de Guy de Maupassant, du 22 octobre 1876 « Gustave Flaubert » …

    Gustave Flaubert, écrivain Français né à Rouen le 12 décembre 1821 et mort à Croisset – commune de Canteleu, en Seine Maritime – le 8 mai 1880…

     

    M’adressant tout particulièrement à celles et ceux d’entre vous qui conçoivent, acceptent, et donc, prennent le temps de lire (Ce qui, soit dit en passant, n’est guère très courant ni d’actualité sur la Toile et dans les réseaux sociaux)… Prennent le temps de lire mais aussi et surtout sont des personnes « aimant la littérature (et la langue française) » … Je dis que ce texte de Guy de Maupassant, écrit en 1876, est de nos jours encore, « tout à fait d’actualité » dans la mesure où il est le reflet de ce que « devrait être » - intemporellement – (c’est à dire de toutes les époques) un écrivain, en fait de toute l’œuvre d’un écrivain)…

     

    En un seul mot pour résumer : si un écrivain est en même temps un artiste, alors oui, c’est un écrivain… Quoique cela ne signifie point pour autant qu’un écrivain « bon artisan de l’écriture plutôt qu’artiste de l’écriture » ne soit pas, tout de même et heureusement pour un large public, un écrivain auteur d’ouvrages, de livres publiés… Parce qu’un bon artisan en toute chose autre que l’écriture (je pense à un ébéniste, à un orfèvre par exemple) mérite reconnaissance de la qualité de sa facture ou de sa « patte » personnelle… (Seulement il faut à mon sens, bien différencier – en littérature - « artisan de l’écriture » et « écrivain – artiste de l’écriture » …

     

     

    « De temps en temps, parmi les écrivains qui laisseront leur nom à la postérité, il s’en trouve qui se font une place spéciale par la perfection et par la rareté de leurs œuvres. D’autres, à côté, produisent abondamment mêlant le rare au banal, les choses trouvées aux choses communes, et forçant le critique et le lecteur à un travail considérable pour démêler ce qui doit rester de ce qui doit disparaître. Mais eux, par un enfantement laborieux et patient, produisent une œuvre absolue, parfaite dans l’ensemble et dans les détails. Et si tous les ouvrages de ces auteurs n’obtiennent pas auprès du public un succès absolument égal, il y a toujours au moins un de leurs livres qui reste dans l’histoire des Lettres avec l’étiquette de chef-d’œuvre, comme ces tableaux des grands maîtres qu’on place au Louvre dans le salon carré.



    M. Gustave Flaubert n’a encore produit que quatre livres et tous resteront. Il se peut qu’un seul soit qualifié de chef-d’œuvre, et cependant les autres ne l’auront certes pas moins mérité que celui-là.



    Tout le monde a lu Mme Bovary, Salammbô, l’Éducation sentimentale et la Tentation de saint Antoine ; tous les journaux ont fait si souvent l’analyse de ces ouvrages que je n’ai point l’intention de la recommencer. Je veux parler d’une manière générale de l’œuvre de M. Flaubert, et y chercher des choses que tout le public n’y a peut-être pas vues jusqu’à présent.



    Les gens qui jugent tout sans rien savoir, et qui s’empressent, aussitôt que vient de paraître un livre d’un genre nouveau et inconnu, d’y attacher, comme une pancarte, la bêtise de leur jugement qu’ils croient être éternel, ont proclamé bien haut, à l’apparition de Mme Bovary, que M. Flaubert était un réaliste, ce qui dans leur esprit, signifiait matérialiste.



    Depuis il a publié Salammbô, un poème antique, et Saint Antoine, une quintessence des philosophies ; cela ne fait rien ; des journalistes compétents l’avaient baptisé matérialiste, et matérialiste il est resté pour les cerveaux rudimentaires des gens bien pensants.



    Ce n’est point ici la place de faire l’histoire du roman moderne et d’expliquer toutes les causes de l’émotion profonde soulevée par l’apparition du premier livre de M. Flaubert. Il me suffira de faire ressortir la plus importante.



    Depuis l’origine des temps, le public français buvait avec délices l’onctueux sirop des romans invraisemblables. Il aimait les héros et les héroïnes et les choses qu’on ne voit jamais dans la vie, pour l’unique raison qu’elles sont irréalisables. On appelait les auteurs de ces livres des idéalistes, simplement parce qu’ils se tenaient toujours à des distances incommensurables des choses possibles, réelles, matérielles. — Quant à des idées, ils en avaient peut-être encore moins que leurs lecteurs. Balzac est venu, et c’est à peine si on y a fait attention dans le commencement. — C’était pourtant un innovateur étrangement puissant et fertile et un des maîtres de l’avenir, écrivain imparfait, sans doute, gêné par la phrase mais inventeur de personnages immortels qu’il faisait mouvoir comme dans un grossissement d’optique, les rendant par cela même plus frappants et en quelque sorte plus vrais que la réalité ! — Madame Bovary paraît, et voilà tout le monde bouleversé. — Pourquoi ? Parce que M. Flaubert est un idéaliste, mais aussi et surtout un artiste, et que son livre était cependant un livre vrai ; parce que le lecteur, sans s’en rendre compte, sans savoir, sans comprendre, a subi la toute-puissante influence du style, l’illumination de l’art qui éclaire toutes les pages de ce livre.



    En effet, la première qualité de M. Flaubert, qui pour moi éclate aux yeux dès qu’on ouvre un de ses ouvrages, c’est la forme ; cette chose si rare chez les écrivains et si inaperçue du public ; je dis inaperçue, mais sa force irrésistible domine et pénètre ceux qui y croient le moins, comme la chaleur du soleil échauffe un aveugle qui n’en voit cependant point la lumière.



    Le public entend généralement par « forme » une certaine sonorité des mots disposés en périodes arrondies, avec des débuts de phrases imposants et des chutes mélodieuses. Aussi ne s’est-il presque jamais douté de l’art immense enfermé dans les livres de M. Flaubert.



    Chez lui, la forme c’est l’œuvre elle-même : elle est comme une suite de moules différents qui donnent des contours à l’idée, cette matière dont sont pétris les livres. Elle lui fournit la grâce, la force, la grandeur, toutes ces qualités, qui, pour ainsi dire, dissimulées dans la pensée même, n’apparaissent que par le secours de l’expression. Variable à l’infini comme les sensations, les impressions et les sentiments divers, elle se colle sur eux, inséparable. Elle se plie à toutes leurs manifestations, leur apportant le mot toujours juste et unique, la mesure, le rhythme particulier pour chaque circonstance, pour chaque effet, et crée par cette indissoluble union ce que les littérateurs appellent le style, fort différent de celui qu’on admire officiellement.



    En effet, en appelle généralement style une forme particulière de phrase propre à chaque écrivain, ainsi qu’un moule uniforme dans lequel il coule toutes les choses qu’il veut exprimer. De cette façon, il y a le style de Pierre, le style de Paul et le style de Jacques.



    Flaubert n’a point son style, mail il a le style ; c’est-à-dire que les expressions et la composition qu’il emploie pour formuler une pensée quelconque sont toujours celles qui conviennent absolument à cette pensée, son tempérament se manifestant par la justesse et non par la singularité du mot.




    « Hors le style, point de livre, » telle pourrait être sa devise. Il pense, en effet, que la première préoccupation d’un artiste doit être de faire beau ; car, la beauté étant une vérité par elle-même, ce qui est beau est toujours vrai tandis que ce qui est vrai peut n’être pas toujours beau. Et par beau je n’entends point le beau moral, les nobles sentiments, mais le beau plastique, le seul que connaissent les artistes. Une chose très laide et répugnante peut, grâce à son interprète, revêtir une beauté indépendante d’elle-même, tandis que la pensée la plus vraie et la plus belle disparaît fatalement dans les laideurs d’une phrase mal faite. Il faut ajouter qu’une partie du public hait jusqu’au mot « forme », comme on hait toujours ce qu’on est incapable de comprendre.



    Donc M. Flaubert est avant tout un artiste ; c’est-à-dire : un auteur impersonnel. Je défierais qui que ce fût, après avoir lu tous ses ouvrages, de deviner ce qu’il est dans la vie privée, ce qu’il pense et ce qu’il dit dans ses conversations de chaque jour. On sait ce que devait penser Dickens, ce que devait penser Balzac. Ils apparaissent à tout moment dans leurs livres ; mais vous figurez-vous ce qu’était La Bruyère, ce que pouvait dire le grand Cervantes ? Flaubert n’a jamais écrit les mots jemoi. Il ne vient jamais causer avec le public au milieu d’un livre, ou le saluer à la fin, comme un acteur sur la scène, et il ne fait point de préfaces. Il est le montreur de marionnettes humaines qui doivent parler par sa bouche, tandis qu’il ne s’accorde point le droit de penser par la leur ; et il ne faut pas qu’on aperçoive Les ficelles ou qu’on reconnaisse la voix.



    Fils d’Apulée, fils de Rabelais, fils de La Bruyère, fils de Cervantes, frère de Gautier, il a bien moins de parenté avec Balzac, quoi qu’on en ait dit, et encore moins avec le philosophe Stendhal.



    Flaubert est l’écrivain de l’art difficile, simple et compliqué en même temps : compliqué par la composition savante, travaillée, qui donne à ses œuvres un caractère frappant d’immutabilité ; simple dans l’apparence, tellement simple et naturel qu’un bourgeois, avec l’idée qu’il se fait du style, ne pourra jamais s’écrier en le lisant : « Voilà, ma foi, des phrases bien tournées. »



    Il devine juste comme Balzac, il voit juste comme Stendhal et comme bien d’autres ; mais il rend plus juste qu’eux, mieux et plus simplement ; malgré les prétentions de Stendhal à une simplicité qui n’est en somme que de la sécheresse, et malgré les efforts de Balzac pour bien écrire, efforts qui aboutissent trop souvent à ce débordement d’images fausses, de périphrases inutiles, de relatifs, de « qui », de « que », à cet empêtrement d’un homme qui, ayant cent fois plus de matériaux qu’il n’en faut pour construire une maison, emploie tout parce qu’il ne sait pas choisir, et crée néanmoins une œuvre immense, mais moins belle et moins durable que s’il avait été plus architecte et moins maçon ; plus artiste et moins personnel.



    L’immense différence qu’il y a entre eux est là en effet tout entière : c’est que Flaubert est un grand artiste et que la plupart des autres n’en sont point. Il est impassible au-dessus des passions qu’il agite. Au lieu de rester au milieu des foules, il s’isole dans une tour pour considérer ce qui se passe sur la terre, et, n’ayant plus la vue bornée par les têtes des hommes, il saisit mieux les ensembles, il a des proportions plus définies, un plan plus ferme, des horizons plus développés.



    Lui aussi il construit sa maison, mais il sait les matériaux qu’il doit employer, et il rejette les autres sans hésitations. Aussi son œuvre est-elle absolue, et on n’en pourrait enlever une parcelle sans détruire l’harmonie totale ; tandis qu’on peut couper dans Balzac, couper dans Stendhal, couper dans tant d’autres, et bien fin qui s’en apercevrait.




    Il ne pense pas, comme quelques-uns, que l’intelligence et l’inspiration, que le hasard et le tempérament suffisent pour faire un livre, que le renseignement soit inutile et la longue recherche méprisable, car il est de la race ancienne des gens qui savaient beaucoup. Au lieu d’ignorer que le monde existait avant 93, et qu’on savait écrire avant 1830, il a médité comme Pantagruel sur tous les docteurs d’autrefois. Il connaît l’histoire mieux qu’un professeur, parce qu’il l’a apprise dans beaucoup de livres où ils ne vont point la chercher ; et il a étudié pour ses ouvrages la plupart des sciences, seulement accessibles aux spécialistes. Mieux que les vieux savants courbés, il sait les généalogies des villes mortes et des peuples disparus, avec leurs coutumes, leurs mœurs, les étoffes dont ils se couvraient et les mets bizarres qu’ils mangeaient de préférence. Il possède le Talmud comme un rabbin ; les Évangiles comme un prêtre ; la Bible comme un protestant ; le Coran comme un derviche. Il sait l’enchaînement des croyances, des philosophies, des religions et des hérésies. Il a fouillé toutes les littératures, prenant des notes dans beaucoup de livres inconnus, les uns parce qu’ils sont rares, les autres parce qu’on ne les lit point. Il connaît les écrivains de génie presque ignorés que produisirent les décadences des peuples, les commentateurs et les bibliographes, les libres profanes comme les livres sacrés, les vies des saints, les pères de l’Église et les auteurs que les hommes pudiques n’osent pas nommer. Il a rassemblé pour nous les communiquer, dans quelque jour d’indignation et de colère, un volume entier fait avec les fautes des écrivains sans style, les barbarismes des grammairiens, les erreurs des faux savants, toutes les vanités et tous les ridicules qui passèrent inaperçus et dont il soufflettera le monde.



    Les journalistes ne connaissent pas sa figure.

    Il trouve que c’est assez de livrer ses écrits au public et il a toujours tenu sa personne bien loin des popularités, dédaignant la publicité bruyante des feuilles répandues, les réclames officieuses et les exhibitions de photographies aux vitrines des marchands de tabac, à côté d’un criminel fameux, d’un prince quelconque et d’une fille célèbre.



    Il n’est guère accessible qu’à un petit nombre d’amis, hommes de lettres, dont il est aimé comme on ne l’est jamais d’un confrère et comme on l’est rarement d’un parent, car il soulève autour de lui les affections profondes. Mais comme il ne livre pas sa personne aux curiosités des foules, avides de regarder aux vitres des hommes connus comme à la cage d’un animal curieux, des légendes circulent autour de sa maison, et il se peut que, chez quelques-uns de ses concitoyens, on l’accuse sérieusement d’avoir mangé du bourgeois, ce qui serait dam tous les cas aussi vrai que le fameux dîner de charcuterie, chez Sainte-Beuve, un vendredi saint, dîner qui, sous la plume de journalistes bien informés, mais surtout bien inspirés, a fini par devenir une intolérable « scie ».



    Enfin, pour contenter les gens qui veulent toujours avoir des détails particuliers, je leur dirai qu’il boit, mange et fume absolument comme eux : qu’il est de haute taille, et que, lorsqu’il se promène avec son grand ami Yvan Tourgueneff, ils ont l’air d’une paire de géants. »





  • Hannibal, de Zakya Daoud

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    Quatrième de couverture

     

    Né en 247 avant J-C à Carthage, près de l’actuelle Tunis, Hannibal, élevé dans la haine de Rome par son père Hamilcar Barca, consacra sa vie à la combattre.

    C’est lui qui déclenche la deuxième guerre punique qui durera de -218 à – 201. Après une traversée légendaire des Alpes, il envahit l’Italie où il remporte sur les Romains des batailles qui l’on fait comparer à Alexandre Le Grand.

    Son écrasante victoire à Cannes le porte au faîte de sa gloire avant qu’il ne rencontre un adversaire à sa mesure en la personne de Scipion l’Africain qui finit par l’emporter à Zama.

    La deuxième partie de son existence – il meurt en -183 – est marquée par une brillante activité réformatrice, précédant l’errance de l’exil.

    Menacé d’être livré aux Romains, il choisit de mettre fin à ses jours.

    Dans ces pages sensibles, l’auteur dépeint non seulement l’incomparable chef de guerre mais aussi l’homme politique oublié, dont les buts étaient de dessiner une nouvelle géopolitique de la Méditerranée incluant la Rome naissante, et montre comment, malgré ses échecs, ils est devenu un mythe qui a perduré à travers les siècles.

     

    Cannes est située dans la région des Pouilles, en Apulie dans le Sud Est de l’Italie et la célèbre bataille du nom de cette cité de la région des Pouilles (qui soit dit en passant fut un chef d’œuvre de stratégie militaire conçu par Hannibal, prise pour modèle dans les écoles de guerre jusqu’à la seconde guerre mondiale) eut lieu le 2 Août – 216 et fit environ 50 000 morts dont la plupart Romains…

    Zama où se sont affrontées les armées Romaines dirigées par Scipion l’Africain et le roi Numide Massinissa d’une part, et les armées Carthaginoises dirigées par Hannibal Barca, d’autre part ; est située dans le Nord Ouest de la Tunisie, et la bataille de Zama eut lieu le 19 octobre -202.

    Cette bataille, perdue pour les Carthaginois, mit fin à la deuxième guerre punique qui avait commencé en -218.

    À cette époque vers -202, les Romains avaient débarqué en Afrique depuis la Sicile, au Cap Bon extrémité de la Tunisie et sur la côte jusqu’à Sfax ; repris les possessions Carthaginoises en Espagne (au sud de l’Ebre)… Et dès même sa longue marche de Carthagène (sud est de l’Espagne) jusqu’en Italie par les Alpes (80 000 hommes au départ en mai -218) et à plus forte raison lors de sa traversée de l’Italie et des batailles qu’il mena contre les Romains en Italie, Hannibal ne fut pas soutenu par Carthage où dominait Hannon et sa « clique » de possédants grands propriétaires aristocrates décideurs, contre le parti des Barca qui lui soutenait Hannibal, un parti « plus en faveur de la démocratie » si l’on veut…

     

    Lorsque débuta la première guerre entre Rome et Carthage, en -264, les deux cités avaient autour d’elles déjà, tout un territoire où elles exerçaient l’une et l’autre leur influence et leur domination.

    Rome sur les deux tiers de l’Italie depuis le nord des Appenins jusque vers le sud (en fait la partie centrale de l’Italie)

    Carthage sur la partie nord et nord ouest de la Tunisie, le long de la côte méditerranéenne de Tunisie jusqu’en Lybie Cynéraïque, puis les régions situées en Afrique du Nord depuis la dorsale tunisienne (extrémité de l’Atlas) : Numidie, Berbérie, jusqu’au Maroc… Et ensuite à l’époque d’ Hamilcar puis d’Hannibal, dans la péninsule Ibérique : andalousie, sud est méditérranéen, jusqu’à l’Ebre…

    L’État Romain dès le 3ème siècle av JC, alors qu’il ne dominait encore que sur la partie centrale de l’Italie, était – bien plus que ne l’était Carthage – un état unifié, de peuples acquis à la romanité, alliés et fidélisés dans un système économique, social et politique qui, en quelque sorte les rendaient dépendants de l’autorité centrale (pour les avantages qu’ils en retiraient et dont ils ne pouvaient se passer)…

    L’on ne pouvait en dire autant, à cette époque, de l’empire Carthaginois, très disparâtre, constitué de peuples soumis « à la dure » alliés occasionnels mais souvent révoltés et passant dans un autre camp, tels par exemple les Numides…

     

    Première guerre punique : - 264 jusque -241, soit 23 ans

    Deuxième guerre : -218 jusque -201, soit 17 ans

    Troisième guerre : -149 jusque – 146 (destruction et disparition de Catthage), soit 3 ans…

    Cent dix huit ans en fait, de conflit entre Rome et Carthage.

     

    L’Histoire (la « grande Histoire générale ») s’est en quelque sorte « jouée » en ce qui concerne le devenir de la civilisation Européenne depuis l’antiquité Grecque, Égyptienne et Romaine (précédée par la civilisation Égéenne de -3000 à – 1200)… Durant ces 120 années au cours desquelles Rome et Carthage se sont trouvé en opposition frontale et donc en guerre…

    Peut-on « imaginer » si cela est possible, quelle aurait été l’Histoire, si Carthage avait « eu le dessus » ?

    Certes, les deux mondes ou deux civilisations, Rome et Carthage, étaient fondées autant l’une que l’autre sur la domination par les aristocrates, les patriciens, les riches propriétaires, la bourgeoisie aisée, dont les personnages les plus influents étaient « aux commandes » dans les sénats, les gouvernements, les plus prestigieux des postes de l’état…

    Cependant, dans le monde Romain, bien plus que dans le monde Carthaginois ; le « principe de relation » entre les différents corps sociaux, entre les peuples alliés ou soumis et les autorités au pouvoir, « contrebalançait » (dans une certaine mesure) – si l’on peut dire – la domination « pure et dure »…

    Hamilcar et Hannibal, du parti des Barca à Carthage, opposé au parti des Hannon, ont tant soit peu contribué à essayer d’instaurer une politique, un « système », une structuration de la société Carthaginoise « éclatée et diversifiée et seulement unie dans l’opportunité » « plus démocratique »… Ils n’y sont pas parvenu et c’est l’une des raisons parmi d’autres, de la défaite finale de Carthage… Et de l’essor de Rome…